La bataille des matières
Les conditions climatiques défavorables cette année posent soucis aux éleveurs : pertes de fourrages, coûts élevés des matières premières et épuisement des stocks. Au delà de la réponse précaire apportée par les indemnisations"calamité" demandées par département, quel modèle permettrait de réduire l'exposition de ces éleveurs aux aléas climatiques ? Eléments de réponse ci-dessous.
Commentaire d'expert
Par Yann LE LOUARN :
La sécheresse installée en France depuis cet été a eu deux conséquences principales sur l’activité paysanne :
les bêtes, habituellement nourries dans les pâturages durant les beaux jours, ont commencé à être complémentées en fourrage bien avant que l’hiver n’arrive ;
d’autre part, la production fourragère est en forte baisse à cause du manque d’eau dans les prairies.
Conséquence : les éleveurs sont pris en étau entre des prix du fourrage qui flambent et la nécessité d’assurer l’alimentation de leurs troupeaux pendant la saison froide. Certains se résignent donc à vendre des bêtes sachant qu’ils seront dans l’incapacité à les nourrir cet hiver, faute de stocks ou de moyens suffisants.
Pourtant, des matières organiques de substitution existent et pourraient être orientées plus largement vers les élevages :
les coproduits des industries agro-alimentaires, comme les pulpes de betterave, les déchets de brasserie, les tourteaux végétaux, les déchets de légumes ou de fruits ;
les coproduits issues de culture, telles que les pailles de céréales ou les légumineuses, les spathes de maïs, les retraits ou les écarts de tri de fruits et de légumes
Mais où donc sont orientées ces matières ?
Ces dernières années ont vu pousser des méthaniseurs comme des champignons : ils absorbent désormais une part importante de la biomasse et viennent directement concurrencer la filière d’alimentation animale. Un peu comme le bioéthanol présent dans les carburants, l’on voit des filières énergétiques faire de l’ombre aux filières alimentaires – et cela pose de sérieuses questions.
Si la filière d’alimentation animale a ses contraintes propres (saisonnalité, manque d’organisation logistique, exigence de qualité…), elle apporte bien plus que la filière énergétique : généralement meilleur marché, elle a également l’avantage de préserver la « noblesse » de la matière puisqu’elle peut être réutilisée en l’état dans les élevages, sans transformation, telle un produit de substitution.
La valorisation matière (vs énergétique) reste la solution à privilégier en économie circulaire.
Gain économique, préservation des ressources, éthique… que manque-t-il aux éleveurs et aux filières animales pour travailler davantage ensemble ? Si les outils manquent incontestablement (visibilité, potentiel matière et potentiel marché, périodicité, traçabilité…), des intermédiaires seront également nécessaires pour organiser, simplifier et fluidifier les échanges. Et qui sait, peut-être que la réglementation apportera son coup de pouce en imposant la valorisation matière comme filière prioritaire ? Pourquoi pas : c’est déjà le cas pour les invendus comestibles de la grande distribution…
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