Bioraffineries environnementales : vers une valorisation complète des biodéchets ?
« Chimie verte », « bioraffinerie environnementale », « extraction végétale », « bioéconomie »… la diversification des approches et des concepts liés à l’économie circulaire fait l’objet de nombreux développements ces dernières années, notamment sur la volonté d’une valorisation maximisée de la biomasse. Les filières traditionnelles telles que le compostage et la méthanisation apparaissent aujourd’hui comme un maillon aval de la chaine de valorisation. Différentes techniques et process innovants permettent aujourd’hui de tendre voire d’atteindre le 0 déchet en dirigeant les différentes fractions de composés obtenus vers des secteurs adaptés et diversifiés.
Les biodéchets
Et si les molécules et composés d’intérêt contenus dans les déchets organiques des agro-industries étaient totalement extraits avant d’être dirigés vers les filières classiques de production d’engrais, d’amendements et d’énergie ? C’est une question à laquelle tentent de répondre de nombreuses initiatives en cours ou encore à l’état de projet. Qu’en est-il vraiment ?
Les déchets organiques issus de l'industrie agro-alimentaire et du secteur agricole, parfois appelés sous-produits ou coproduits selon leurs potentiels, représentent un immense gisement de plusieurs dizaines de millions de tonnes. Ils se caractérisent par une hétérogénéité de matières (drêches, marcs, déchets de fruits, de viande…) ainsi qu’une forte saisonnalité.
Certains coproduits empruntent déjà des filières de valorisation adaptées, qui permettent de générer pour l’entreprise des gains à la fois au niveau environnemental et économique (ex des filières de valorisation animales pour lesquelles un prix de rachat à la tonne est fixé avec l’entreprise) mais aussi social. Pour d’autres, les seules filières proposées ou disponibles à proximité, à faible valeur ajoutée, sont choisies par défaut et représentent dans la grande majorité des cas un coût.
Même si ces matières trouvent preneur et sont valorisées à 100%, en accord avec les principes de l’économie circulaire et du retour au sol, de nombreuses opportunités liées à la chimie du végétal pourraient être mises en œuvre.
Pistes de réflexions sur une valorisation optimale
Il reste de nombreux axes de progression et des débouchés non étudiés pour les matières qui sont actuellement éliminées ou qui ne pas valorisées selon leurs caractéristiques physico-chimiques intrinsèques. Certaines entreprises émergentes (algues, insectes...etc.) ont déjà réussi leur pari en identifiant, dès la phase de conception, des débouchés pour l’ensemble des coproduits. Chaque coproduit devient alors une « matière première » à part entière, c’est une stratégie de valorisation de la « biomasse entière » très efficace pour leur compétitivité.
De nouvelles perspectives et opportunités sont apportées par le développement des technologies issues du nouveau concept de chimie durable. Contrairement à la chimie classique qui s’appuie sur l’utilisation d’énergie fossile tel le pétrole, la chimie végétale utilise tout ou partie des plantes (biomasse, agro-ressources…etc.) pour en extraire des molécules ou composés d’intérêt (via notamment l’extraction végétale qui permet de différencier par exemple les polyphénols). La chimie durable intègre également l’ensemble du cycle de vie du produit et vise à améliorer les pratiques de production en réduisant ses différents impacts environnementaux. Ces composés viennent alors se substituer à ceux issus des ressources fossiles, comme c’est le cas par exemple pour bon nombre de bioplastiques ou de biocarburants.
Ces techniques d’extraction se perfectionnent et parviennent à cibler un ou plusieurs principes actifs qui peuvent être directement utilisés ou incorporés à un autre produit. La variété des procédés utilisés, toujours plus respectueux de l’environnement (ultrasons, eau surcritique), permettent une extraction des composés comparable aux techniques utilisant des solvants organiques.
Le concept de bioraffinerie environnementale
Quelle entreprise n’a jamais envisagé de réduire ses coûts de production en dégageant des bénéfices avec les matières secondaires non intentionnelles issus de son process de fabrication ? De ce constat est né le concept de bioraffinerie il y a plusieurs années. Les progrès techniques et les nouveaux ponts entre les différents secteurs industriels permettent aujourd’hui l’application de ce concept. Mais regardons en détail ce qu’est exactement une bioraffinerie environnementale.
Les bioraffineries ont pour vocation de transformer, sur un même site industriel, l’ensemble des fractions constitutives d’une agro ressource locales (coproduits de l’industrie agro-alimentaire, résidus agricoles…etc.), dans l’optique d’une valorisation complète. Cet ensemble peut combiner plusieurs outils tels que l’extraction végétale de molécules à haute valeur ajoutée, la production de bio-carburant, d’énergie, de biomatériaux, d’ingrédients intégrant les filières d’alimentation humaine ou animales …etc.
Dans sa Feuille de route de 2011 l’ADEME la définie de la façon suivante : une bioraffinerie est « un ensemble industriel, localisé sur un même site, mettant en œuvre des procédés destinés à fractionner les composants de la biomasse (tige, grain, tubercule, etc.) en ses différents éléments constitutifs (fibres, lipides, amidons, sucres, protéines…). Ces derniers peuvent être ensuite fonctionnalisés par différents procédés mécaniques, physico-chimiques ou biologiques, afin d’obtenir des produits intermédiaires non alimentaires (chimie et énergie) et alimentaires (alimentation humaine comme huiles, animale comme des tourteaux). Ces produits sont ensuite directement utilisés ou formulés selon les besoins des industriels finaux (alimentaires, non alimentaires comme les matériaux, carburants, détergents, lubrifiants, etc.). Selon le concept de la bioraffinerie, l’intégralité de la bioressource utilisée doit être valorisée.»
Cette technologie s’inspire en quelque sorte du fonctionnement du métabolisme cellulaire et de la célèbre phrase de Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se créer, tout se transforme ». Des étapes de transformations dites « en cascade » permettent d’obtenir dans un premier temps des matières ou molécules en faibles quantités mais à forte valeur ajoutée afin de pallier la seule valorisation énergétique. Etape qui n’arrivera qu’en fin de process lorsque la matière sera totalement « épuisée » de l’ensemble de son potentiel moléculaire.
Bien qu’intéressante cette technologie fait face à plusieurs challenges pour s’installer durablement dans le paysage industriel :
L’identification de gisements à proximité, en quantité suffisante et durable dans une logique de circuit courts ;
La nécessaire coordination & la mise en relation de l’ensemble des acteurs, notamment entre producteur des coproduits, transformateur et utilisateurs ;
La complexité des opérations biologiques et/ou chimiques ou physico-chimiques de traitement et les coûts inhérents aux techniques choisies, aux matériels et à leur fonctionnement ;
La structuration des filières avales, consommatrices des produits sortants.
Conclusion
Dans le contexte actuel de raréfaction des ressources et de transition énergétique, l’implantation de bioraffineries au cœur des gisements apparait comme une réponse essentielle au développement d’une économie plus durable, plus locale et à très forte valeur ajoutée.
Favorisant la bioéconomie, la création d’emploi et la compétitivité des entreprises, la mise en place de ces bioraffineries et le partage des connaissances/expériences dans ce domaine doivent être soutenues et dirigées.
La mise en relation des différents secteurs agricoles, forestiers et industriels, quasi inexistante à l’heure actuelle, reste stratégique pour que ces écosystèmes d’un nouveau genre se développent et puissent apporter leur forte contribution au modèle.
Bruce Motte
Responsable R&D et Innovation
Sources :
Eco-extraction : https://green.univ-avignon.fr/axesderecherche/
Chimie verte : https://www.a-r-d.fr/fr/chimie-verte
Toute utilisation : http://www.lesmetiersdelachimie.com/Tendances/Chimie-verte
Biodéchets et chimie verte : https://www.actu-environnement.com/ae/news/biorare-irstea-biodechets-chimie-verte-electrosynthese-29060.php4
Bioraffinerie : https://www.bioenergie-promotion.fr/33848/inventer-la-bioraffinerie-du-futur-via-la-transformation-de-la-biomasse/
https://www6.inra.fr/ciag/content/download/6059/44970/file/Vol54-8-Garcia-Bernet.pdf
https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/rapport_final_tech2market.pdfn
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